Camille Saint-Jacques

Le désir me pousse à découper une forme directement dans la toile, à main levée, en préférant l’approximation à la rigueur géométrique. Ignorant s’il s’agit d’un fond ou d’une forme, je peins sans attendre. Souvent, je crois que le séchage clarifiera mon indécision… Mais non, la peinture passe à autre chose. Je reste médusé par cet incipit qui se meut en excipit. Comment se peut-il que ce qui est pour moi essentiel surgisse si vite ? Est-ce de la complaisance ou de l’impuissance ? Mon horreur du labeur me retient. L’expérience de la peinture est une affaire de sensibilité du regard. Tout se perçoit en un clin d’œil. Mais, on le sait, une vie entière peut se jouer dans l’instant d’un regard. Tout ce qui se surajoute vient obscurcir le mystère de la naissance d’une image.

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Un petit morceau de toile avec dessus un peu de peinture. La toile porte la peinture comme l’eau le noyé, et la peinture flotte, surnage parfois puis coule à moitié, disparaît pour réapparaître sous d’autres formes… Lorsqu’une apparence me plaît, je ne résiste pas à l’envie d’en manifester les contours, histoire de m’assurer qu’ils seront perçus plus tard. Mais, c’est toujours un peu vain parce que les apparences sont des mirages qui ne durent guère. J’attends donc souvent qu’une nuit passe pour vérifier si le lendemain, ce qui me semblait être là est toujours présent. En général, ce qui était là la veille a disparu avec le jour. Il n’y a plus qu’un tas qui fait tache, m’attristant et me faisant douter d’avoir vu ou d’avoir rêvé. Il me faut alors regarder des images, n’importe quelles images, pour me laver les yeux de ce perception-déception. Le peintre voit de la peinture partout ; anything goes ! Tout est motif.

Eden

Chaque peinture est intitulée et signée à l’aide d’un nombre qui indique une quantité de vie vécue : les années en chiffres romains et les jours en chiffres arabes. Parfois le titre est précisé à la fin du texte en italiques.