Au coeur du travail de Burkard Blümlein la vie secrète des objets, leur précieuse inertie, leur éloquence insoupçonnée. Table, verre, assiette, pierre, savon, étagère… autant de choses à portée de main, préhensibles, sur lesquelles il aime se concentrer, puis intervenir sans jamais en faire trop. Des choses de peu, qui une fois sorties de leur environnement habituel et privées de leur fonction initiale, résonnent en nous de manière étonnante.
L’artiste affectionne les matériaux pauvres, les gestes précis. Il ne cherche pas l’expansion, n’envahit pas l’espace préférant le ponctuer. Il faut s’approcher, il faut comparer. Brisures, trous, usures, altérations volontaires et accidentelles sont souvent à l’épicentre de ses assemblages. Ils confèrent aux objets dont il se saisit une valeur ajoutée, une grandeur d’âme supplémentaire. Chacune de ses œuvres constitue ainsi une sorte de proposition, une combinaison inédite d’éléments familiers détournés qu’il cherche à mettre en rapport, à dialectiser. Il les appelle Conversations. Et en effet, au gré des rencontres qu’il suscite entre ces matières composites, ces vides et ces pleins, des conversations, à deux ou à plusieurs, semblent naître sous nos yeux. Ici les rapports de forces se muent en une sorte d’entente. Il connaît ses matériaux, leurs qualités et leurs limites. Et c’est comme s’il leur faisait vivre des aventures proprement humaines. Ces objets comme oblitérés par l’artiste deviennent alors des doubles, qui semblent presque rejouer certaines situations et émotions que nous connaissons. Entre accords et désaccords, ressemblances et dissemblances, objets indifférents et sentiments les plus vifs et intimes se contaminent, se supportent, s’exhaussent mutuellement. Tout est criant de vérité dans ces dramaturgies improbables.
Un verre cloué au mur, un autre gravé d’une empreinte indélébile. Un vieux savon et un galet. Trois assiettes recollées dessinent en se touchant une ligne comme un long fleuve redevenu tranquille. Une couverture raccommodée. Une boulette de bronze. Un miroir qui rend flou. Chaque pièce fonctionne comme un petit mémorial très personnel, frugal et délicat, dédié aux souvenirs et aux sentiments dont l’artiste ne veut ni ne peut se déprendre. Y cohabitent objets proches et amours lointains, attentes et espoirs, petits bonheurs et blessures de la vie. On peut choisir de les lire en mode majeur ou mineur c’est selon. Entre mélancolie, tendresse et autodérision Burkard Blümlein manipule des choses aussi fragiles qu’increvables. A coup sûr elles nous survivront.
Géraldine Bloch