Jean Laube
au 5 février 2025
Ça tient, c’est tout
Sur la peinture de Jean Laube
Morgan Labar (Historien d’art)
La peinture de Jean Laube est un arrangement de peu de choses. Elle est un de ces miracles que l’on ne sait trop comment expliquer. « Ça tient ». C’est tout. Avec presque rien. Et on ne sait quoi.
Des lames d’Isorel, déchirées plus ou moins proprement mais toujours plus ou moins more geometrico, s’emboîtent les unes dans les autres, glissent, s’accrochent, se tressent. Une branche d’arbre ou un morceau d’écorce parfois s’ajoutent. Ces morceaux de contreplaqué sont à demi peints, laissant voir le support – le tissage du dos de l’Isorel – ou l’acrylique – les stries du pinceau.
La pauvreté des matériaux se donne en toute transparence, en toute simplicité. Héritière de Support-Surface, avec Viallat et avec Saytour – qui ont été des professeurs puis des amis –, la peinture de Jean Laube est plus austère encore, plus janséniste à sa manière. Elle est sans compromis comme elle est sans séduction. Et cependant, elle n’est pas sans plaisir : dans la répétition d’un geste ou d’un motif ornemental, c’est un vaste refrain qui se déploie, trop fragile et délibérément accidenté pour être à la Steve Reich (pour autant, quelque chose d’un minimalisme musical affleure dans la peinture de Jean Laube), pas assez niais pour être un de ces refrains qu’affectionnait Rimbaud. Et pourtant, ses rythmes naïfs, ses dessus de portes ou ses peintures idiotes ne sont pas loin.
Cette petite musique, il faut un aperçu de tout l’œuvre pour l’entendre – un fragment de l’ensemble et pas une simple sélection. On saisit alors que tout est affaire d’arrangements : un morceau de contreplaqué, une trace de peinture, ici ou là.
Avec constance, le peintre réagence, applique un ton sur un ton, décale, dispose. Et la leçon de la peinture s’écrit dans la répétition certaine mais jamais assurée de ces gestes d’arrangement.
Gestes ténus, gestes à peine visibles, gestes dont on se demande, parfois, si l’on regarde trop vite, quelle nécessité les a mus ou s’ils ne sont qu’hasards désinvoltes – ils ne sont pas qu’hasards désinvoltes – ces gestes pourtant nous arrachent au boucan du monde et à sa marche folle. Ces gestes ne sont pas abstraits. Ces gestes nous abstraient – c’est-à-dire, ils nous tirent hors du monde.
Et dans le même temps, la matière rugueuse (la peinture ou l’Isorel abîmé) nous ramène au réel.
Exercice d’ascèse : retirer tout ce qui pourrait sembler intentionnel ; éviter la satisfaisante plénitude de la forme ; ne pas poser, comme l’arte povera s’y laisse aller de temps en temps. Chercher, encore et encore, laborieusement presque, la juste distance. Chercher à tâtons. Avancer. Reculer. S’arrêter. Entrelacer, dessus, dessous. Refuser la virtuosité. Embrasser l’âpre précarité du monde.