Mr Wolf, innocent years
Rachel Lumsden Mr Wolf, innocent years
2022, huile sur toile tendue sur bois, 210 ✕ 170 cm

MR. WOLF

du 18 octobre 2022
au 16 décembre 2022

Dans les tableaux récents de Rachel Lumsden les images semblent se diluer. Comme imbibées, elles flottent. Non pas qu’elles disparaissent ou donnent le sentiment d’être sur le point de disparaître, mais les événements qui s’y manifestent le font dans de vastes couches de peinture, certaines épaisses et empâtées, d’autres glacées et fluides où s’étendent tout embués les récits qui les parcourent. Cette dilution opère à la manière des visions que l’on a lorsque l’inattention nous submerge et brouille l’acuité de notre regard au profit de l’intensité d’un ressenti qui lui aussi s’étend, se répand et enfle en nous.

D’un tableau à l’autre on suit la pensée de l’artiste s’attarder, le trivial se superpose à l’urgence, des images issues de journaux prennent la consistance d’un souvenir, la vue se tresse d’accents nés dans l’imagination. Ainsi, ce que l’on voit vraiment en tant que spectateur ce sont de vastes masses colorées s’éclaboussant les unes les autres dans un enchevêtrement joyeux totalement indifférent à la raison. A day in May en est le parfait exemple. Le ciel d’une belle journée de mai se couvre de cyan, même si cette couleur ne se dévoile qu’à travers les lumières dorées qu’elle donne à la végétation. Qu’importe au printemps qu’un dramatique incendie couvre le ciel de fumées rouges, noires et blanches : qu’importe à la peinture que le bleu se soit fait orangé.

L’influence de la peinture sur le sujet se perçoit tout particulièrement dans les œuvres Obscured by cloud – the horse was innocent. Il est question de rapport mémoriel ; on y observe la statue équestre monumentale de Robert E. Lee, le commandant de l’armée confédérée, qui, entre 1890 et 2021, se dressait à Richmond, en Virginie. Ici, à travers l’examen pictural de ce monument, Rachel Lumsden met le doigt sur les développements sociopolitiques actuels, où se heurtent passé et présent. Recouvert de graffitis, le piédestal semble fondre sous l’influence de la peinture.

Les tableaux de l’artiste se nourrissent du dialogue entre la substance matérielle de la peinture appliquée sur la toile et le motif représenté. Ces deux aspects mènent une vie apparemment indépendante et pourtant entremêlée ; en les regardant, on passe de l’incidence picturale aux motifs et inversement. Cette interaction signe la filiation avec l’œuvre d’un autre Britannique, le peintre Walter Sickert auquel le musée du Petit Palais organise une grande rétrospective cet automne et dont la spécialiste de l’artiste Delphine Lévy a publié en 2021 une importante monographie dans laquelle une peinture de Rachel Lumsden est inclus dans l’examen de l’influence de Sickert sur le xxe siècle, et notamment sur l’œuvre de Francis Bacon, Lucian Freud, Edward Hopper ou encore David Hockney. L’exposition présentée par la Galerie Bernard Jordan en est un écho et une actualité. La même incertitude s’y déploie, un sentiment d’étrangéité, un regard sur les enjeux de la vie contemporaine à la fois flegmatique et entièrement dépourvu d’accoutumance.

Benoît Blanchard