Télérama4 janvier 2022

De Sharon Tate à Sylvie Vartan : Nina Childress peintre des idoles féminines de la culture pop

Libre, déconcertante et provocante, on ne pourrait pas mieux définir la peinture de cette artiste franco-américaine, dont le Frac Nouvelle Aquitaine offre la première rétrospective à presque 60 ans. Elle en a la même dimension, 6 mètres de long sur 3 mètres de haut, et la même composition. La toile de l’Enterrement, peint par Nina […]

De Sharon Tate à Sylvie Vartan : Nina Childress peintre des idoles féminines de la culture pop

Libre, déconcertante et provocante, on ne pourrait pas mieux définir la peinture de cette artiste franco-américaine, dont le Frac Nouvelle Aquitaine offre la première rétrospective à presque 60 ans.

Elle en a la même dimension, 6 mètres de long sur 3 mètres de haut, et la même composition. La toile de l’Enterrement, peint par Nina Childress en 2011, fait clairement référence au chef d’œuvre d’Un enterrement à Ornans, que Gustave Courbet présenta, sous les quolibets de « peinture d’anecdote » et de « laid endimanché », au Salon en 1850. Mais à la place des multiples personnages, curé, fossoyeurs, groupe d’hommes et de femmes réunis par Courbet autour de la tombe ouverte, la nouvelle version, en triptyque, affiche une liberté folle. L’enterrement tourne à la bacchanale féministe d’une ironie mordante : sous des teintes de vert acide, une guirlande de femmes nues portent le mort sous des poses incongrues, tête de long cygne coincé dans le sexe, visage recouvert de sac transparent, et défilent, accroupies ou groupées, dans un paysage de vallée rocheuse jaune paille. Le tout est à la fois orchestré et libre, déconcertant et provocant.

On ne pourrait pas mieux définir la peinture de la franco-américaine Nina Childress dont le Frac de la Nouvelle Aquitaine offre la première rétrospective dans le bâtiment flambant neuf de la Meca à Bordeaux. Il était temps. A presque 60 ans, Nina Childress est une « jeune artiste » à la maturité stupéfiante. Mais à la renommée lente et progressive. A qui la faute ? A cette grande bringue, cheveux long, bottes à paillettes, franchise éclatante, qui a toujours professé : « Oui, oui, on peut peindre n’importe quoi et j’aurais même tendance à penser qu’il vaut mieux peindre n’importe quoi, si l’on veut que la peinture reste un peu excitante. »

PUNK, SQUAT ET MOBYLETTE

Née en 1961 à Passadena, en Californie, d’un père américain et d’une mère française, elle vit une enfance ballotée entre New York et la banlieue ouest de Paris à la suite du divorce de ses parents. A son entrée à l’école des Art Décoratifs de Paris, au début des années 1980, c’est vers la musique que Nina se tourne avec le groupe post punk Lucrate Milk. Squat, mobylette, concerts et tags, l’aventure prend fin en 1984.

Celle qui peint quelques portraits depuis ses 19 ans rejoint alors le collectif des Frères Ripoulin. Ils ont leur atelier dans les locaux du magazine Actuel. Cooptée, elle devient le seul membre féminin d’une bande de garçons qui ont pour noms Claude Closky et Pierre Huygue – qui se fait appeler PiroKao – Ox Bla+, Manhu et Stéphane Trois Carrés. « Mon objectif était alors de faire sérieusement de la peinture et de me consacrer entièrement à ça. »

A la source du graphisme et de la publicité, proche des peintres de la Figuration Libre comme Robert Combas et François Boisrond, mais en plus rock, pratiquant la création en commun, les affiches collées dans le métro, les happenings en direct, le groupe, soutenu par la collectionneuse Agnès b., expose à New York chez le galeriste très en vogue, Tony Shafrazi, ne vend rien, se fracasse en 1990. Et laisse Nina Childress sur le carreau.

“Ma principale source d’information c’était la télévision.

J’avais une culture populaire”

« Mon grand handicap, c’était que je n’avais pas suivi d’école d’art. J’avais abandonné les Arts Déco et me suis inscrite aux Beaux Arts pour avoir la sécu. Mais je n’y ai jamais mis les pieds. Ma culture artistique était restreinte, mes références théoriques inexistantes. Ma principale source d’information c’était la télévision. J’avais une culture populaire… » (1) Comment réconcilier l’intense pulsion de peindre à cette absence de terreau ?

AUTODIDACTE, UN PEU PAUMÉE, ENFIN EXPOSÉE

L’exposition, titrée « Body Body », avec plus d’une centaine de toiles — événement qui se double de la parution d’un gros catalogue raisonné de plus de 700 pages, reproduisant fidèlement ses 1081 peintures et œuvres produites de 1980 à 2020 — donne quelques pistes de son free style. Un faux style plutôt, fait de la cohabitation de sujets et de techniques bien différentes : peinture qui télescope la grille abstraite d’un carré à la manière de Vasarely avec un portrait vite fait de jeune femme (La Prisonnière, époque Ripoulin, 1985) ; bête boîte de plastique rectangulaire de Tupperware sur fond rouge, bonbon géant à l’obsession hyperréaliste (Roudoudou menthe, 1991) ; savon vert translucide à la surface aussi lisse et dématérialisé qu’un Rothko de salle de bain. Ou, optant pour le plus pur photoréalisme, tableaux de petits filles en tutu de danse aux contours flous (Blurriness Little Dancer, 2000) qui inaugurent un long cycle de paysages flous, de portraits flous et de nus flous.

SIMONE DE BEAUVOIR, KAREN CHERYL, SISSI IMPÉRATRICE…

Suit un autre cycle, plus récent, fait de portraits d’héroïnes fragiles de l’Histoire du cinéma ou de la télévision, aux couleurs acides, violet tenace, rose bonbon, blond platine, ou chair savonneuse. Au menu : l’impératrice Sissi, la chanteuse yéyé Sylvie Vartan, l’écrivaine Simone de Beauvoir, l’actrice Sharon Tate, la musicienne Karen Cheryl… Nina Childress accumule tous les styles, de la peinture ultra léchée à la toile affichant la caricature et la maladresse intentionnelle, et tous les clichés à sa disposition : carte postale, images trouvées dans les magazine, scènes de film, écrans télés, pochettes de disque…

Un monde vintage, disparu, dont elle récupère les reliefs avec une obsession maniaque. Ainsi, découvrant le petit film hollywoodien, The Naked Venus tourné à la fin des années 50 par le réalisateur Edgar-Georg Ulmer (un peintre américain marié à une jeune femme française, rejeté par sa belle-mère, décide de se réfugier dans un camp naturiste), elle peint une suite de petits tableaux de groupe de nudistes aux couleurs délavées et à la saveur rétro, totalement décalée de notre temps. « Ce qui m’intéresse est de m’approprier ces images pour les amener ailleurs. »

Hantée par le temps, et sans doute pour insinuer le choc de la disparition, l’œuvre de Nina Childress vous conduit dans un temps du replay. Ce recours à l’anamnèse raconte la légère hallucination d’un passé frelaté s’insinuant dans le temps présent selon l’observation de clichés et de reproductions, de stars et d’amour vintages. Ce jour sans fin prend la peinture au mot, celui de l’artifice, du givre du temps et du culte d’image fanées. Et réanimées.

(1) Les citations sont extraites de l’entretien de Nina Childress avec Fabienne Radi contenu dans l’ouvrage.