Jacques Vieille

Français, né en 1948

Bien que sculpturale, l’œuvre de Jacques Vieille est un temps. C’est un temps qui se dresse, un temps architectural : un temps de l’ampleur. Ce qui lui confère cette qualité est son étonnante capacité à sembler être en équilibre entre la précarité de l’acte et l’éternité du fait. Ainsi, on se promène parmi les interventions de l’artiste comme au devant d’un pont romain.

Le dialogue avec l’architecture et le paysage est un fondement du travail de l’artiste. De l’architecture, il se souvient des colonnes et des entablements, des conduites, des points de vue et des circulations qui mènent au paysage, au dessin des feuilles, à l’ornement.

Les matériaux qui sont les siens sont ceux du paysagiste, parfois aussi ceux du simple bricoleur, des matériaux que l’on regarde en flânant comme Marcel Duchamp au Bazar de l’Hôtel de Ville. Les rayons en sous-sol se succèdent et l’on passe entre la quincaillerie et les briques réfractaires. L’artiste se saisit d’une longue planche de pin, de balais en osier, de barres de fer, de corbeilles métalliques, de rouleaux de canisse. Le tout est empaqueté de kraft ; le reste, éléments de coffrage, linteaux, carreaux de plâtre, échelles et poutrelles seront livrés. Face au lieu où il intervient, le geste de Jacques Vieille est presque architectural — il faut dresser cet édicule, ce parterre, ce paravent, il faut réinvestir une horizontalité, décupler une hauteur.

Ces gestes, s’ils empruntent à l’architecte certaines de ses habitudes, n’en sont pas moins des gestes de sculpteur : cacher et dévoiler, lever et aplanir, recouvrir, rendre visible, contourner, empiler, consolider, tout est mis en œuvre pour dessaisir les évidences du corps et du regard. Il ne s’agit jamais pour l’artiste de simplement habiter ou de rendre habitable, son action se présente plutôt comme un réajustement de la structure de l’espace : la sculpture vient rééquilibrer ce que le passage répété de l’homme à étouffé.

Texte de Benoît Blanchard